Que révèle la crise des données associée à la pandémie de COVID-19?

La pandémie de COVID-19 n’est pas seulement une crise sanitaire, c’est aussi une crise des données : les gens comme les médias exigent des données plus précises sur la situation. Dans ce billet de blogue, nous examinerons comment ce besoin en données sur la pandémie révèle des problèmes de longue date en matière de collecte, de cartographie et de visualisation des données. Nous présenterons également un moyen de faciliter le partage complexe de l’information entre les territoires afin d’aider les décideurs et de mieux informer le public.

La pandémie a obligé les gouvernements et les organisations à partager des données comme jamais auparavant. Pourtant, il en faut encore plus, et ce, très rapidement. De plus, les données doivent être nationales, cohérentes entre les territoires et respectueuses de la vie privée. La pression imposée par l’état d’urgence et les enjeux élevés pour la santé publique a mis en évidence les problèmes associés à la collecte et au partage des données. Pourquoi est-il particulièrement difficile de partager les données sur les soins de santé?

La plupart des données concernant notre population sont tirées des recensements. Grâce à des années de données de recensement cohérentes, nous pouvons comprendre beaucoup de choses sur notre pays. Toutefois, il arrive que les limites de publication des données de santé ne correspondent pas aux limites appliquées aux données de recensement.

Chaque province a son propre système de santé et publie ses données d’une manière différente. Par exemple, certaines provinces et certains territoires indiquent le nombre de cas de COVID-19 uniquement au niveau provincial. D’autres les comptent par régions sanitaires ou les recensent par circonscriptions sanitaires, qui représentent un degré de précision très élevé.

Avant même de cartographier les cas de COVID-19, chaque province doit recueillir, comparer, valider et regrouper les données, ce qui exige de nombreuses interventions manuelles poussées. Pour présenter les cas de COVID-19 à l’échelle nationale sur une carte, il faut consulter les sites web de tous les ministères de la Santé, comprendre leur façon de déclarer les cas de COVID-19, obtenir les limites de chaque système de santé et mettre les données à jour quotidiennement.

Même en disposant des données de chacune des provinces, il n’est pas toujours possible de comparer leur taux d’infection. L’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta recueillent des données similaires sur les cas : pour chaque cas confirmé, nous connaissons le sexe et le groupe d’âge de la personne ainsi que la façon dont elle a probablement contracté le virus. Nous pouvons comparer la situation de ces trois provinces, mais les autres provinces (comme le Québec) ont des pratiques différentes en matière de collecte et de partage des données. Il nous est donc impossible de dresser un tableau précis à l’échelle du pays, car les provinces et les territoires ne partagent pas leurs données de la même manière.

Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles il est si difficile de comparer la situation des provinces canadiennes et d’assurer la comparabilité des données ou des statistiques qu’elles publient.

Le problème s’explique en partie par la séparation des pouvoirs au Canada : l’Agence de la santé publique du Canada, une agence du gouvernement fédéral, ne peut imposer aux gouvernements provinciaux ni au secteur privé de partager leurs données, ce qui limite sa capacité à effectuer une surveillance de la santé au pays.

Les ordres de gouvernement disposent également de capacités de collecte de données différentes. Dans le monde des SIG et de la cartographie, les différences entre les infrastructures de données des administrations municipales et celles des gouvernements fédéral et provinciaux peuvent être considérables. Chaque municipalité a ses propres capacités et pratiques en matière de SIG, et certaines d’entre elles ne peuvent s’offrir un service de SIG doté d’un personnel spécialisé. Les divergences dans les pratiques de publication des données commencent dans les plus petits détails, tels que l’étiquetage des données ou la définition des champs, ce qui complique la recherche, la combinaison et le regroupement des données. C’est pourquoi les gouvernements ont de la difficulté à créer et à présenter un ensemble cohérent de faits au public.

La création de normes nationales en matière de données est un bon début. Les normes aident à structurer les données pour les rendre cohérentes et fiables, ce qui en facilite la compréhension, le traitement et l’analyse. On voit ensuite une augmentation de la confiance dans le jeu de données et l’organisation chargée de le tenir à jour. Toutefois, le paysage des normes s’appliquant aux soins de santé au Canada est aussi complexe que le système de santé lui-même.

Les normes peuvent être établies par des organismes généraux de normalisation (comme l’Organisation internationale de normalisation) ou des associations internationales représentant des secteurs précis (par exemple, le Conseil international des infirmières). Elles peuvent provenir, du point de vue national, de Santé Canada et de l’Institut canadien d’information sur la santé, ou émaner d’organismes provinciaux comme cyberSanté Ontario. En fait, Inforoute Santé du Canada propose une liste des organisations qui définissent ou recommandent des normes de données pour les soins de santé dans chaque province.

Il y a tellement de façons de structurer les données du système de santé, et tellement d’organismes de normalisation rien qu’au Canada, qu’il est clair que la coordination reste un obstacle à l’obtention d’un ensemble de données fiables et de qualité, provenant de tout le pays.

Ne pas savoir quelles données peuvent et ne peuvent être librement partagées a ralenti le processus décisionnel et l’a orienté vers la protection de la vie privée, au détriment de la transmission efficace de l’information. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les populations vulnérables, comme les sans-abri ou les autochtones, qui se sentent souvent scrutées par le gouvernement et s’attachent à protéger ce qu’elles peuvent de leur vie privée.

Pour résoudre ce problème, les gouvernements doivent rendre plus visibles et accessibles les possibilités de collaboration et de coordination autour des données de santé, et fournir des ressources aux praticiens pour qu’ils puissent définir des normes. Le public, en tant qu’utilisateur final des données, peut également participer en faisant part au gouvernement de ses propres réflexions et idées sur les besoins en matière de visualisation et d’analyse des données.

Il est important que les fournisseurs de données, y compris le gouvernement, aient une compréhension claire des éventuels cas d’utilisation des données. Cela leur permet de partager des données dans les formats appropriés et avec le niveau de détail et de documentation requis. Comprendre les besoins des utilisateurs finaux n’est pas une tâche futile, d’autant plus que les utilisateurs finaux publics de l’information peuvent n’exercer qu’une sphère restreinte d’interaction ou d’influence sur le producteur de données d’origine. Si les sondages et les consultations publiques peuvent fournir un retour d’information sur les besoins en données, des formes plus interactives de relation, telles que les ateliers de co-conception auxquels participent le gouvernement et le public, peuvent conduire à un portrait plus fidèle des besoins en matière de données, de visualisation, d’interface utilisateur et d’analyse.

Ce type de co-conception est déjà pratiqué dans le cadre de la conception de services au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique. Même sans ces ateliers collaboratifs, n’importe qui peut dialoguer avec le gouvernement sur les besoins en matière de données et d’analyse de l’information sur la santé. Les communautés canadiennes de données et de gouvernement ouverts constituent un forum pour de telles discussions. Le Forum multi-intervenants sur le gouvernement ouvert appuie le dialogue entre le gouvernement et la société civile canadiennes. Le mandat de ce lieu d’échange procède de l’engagement du Canada à l’égard du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Sur le plan régional, les rencontres s’articulant autour des données ouvertes et de la technologie civique représentent un autre excellent moyen d’entamer le dialogue avec les développeurs, les scientifiques et les chercheurs.

Pour certains types de données, les initiatives citoyennes en matière de science et la cartographie des actifs communautaires concernant les ressources et les programmes de santé peuvent conduire à la participation des membres du public à l’acte de collecte de données en soi. Ces initiatives sont souvent menées par un gouvernement, une organisation à but non lucratif ou un établissement d’enseignement, et elles s’accompagnent couramment d’une formation de base qui garantit la participation de tout un chacun. Pour recueillir des données sur le terrain ou pour dresser une carte, vous devez apprendre à coordonner plusieurs collecteurs de données, à garantir l’exactitude et la fiabilité de l’information et à veiller à ce que la saisie des renseignements ne soit pas sujette aux erreurs. Ce type d’expériences peut amener le public à devenir plus sensible aux défis que pose la production de données de bonne qualité.

Les gouvernements du monde entier sont aux prises avec cet enjeu. Le site joinup de l’Union européenne représente un exemple de plateforme de partage de données et d’information qui permet à quiconque de partager des liens vers des renseignements, des données et des ressources logicielles dans le monde entier, avec un référentiel spécifique à sa réponse numérique à la COVID-19.

Comme il s’agit d’une plateforme ouverte, les fonctionnaires peuvent partager des ressources entre eux, mais aussi apprendre de ceux qui ne font pas partie du gouvernement. Des regroupements comme la communauté de pratique sur les modèles de données de base servent de plateformes permettant aux fonctionnaires de partager des normes, de nouveaux outils et des applications de données à mettre en œuvre, avec des leçons régulières tirées du partage des données entre les institutions gouvernementales.

Au Canada, GCCollab est la plateforme du gouvernement du Canada permettant aux fonctionnaires de se connecter les uns aux autres et de partager des ressources telles que les flux de travaux d’analyse, les codes ou les documents. D’autres mécanismes pourraient être nécessaires pour faciliter le partage entre territoires. Des organisations comme Inforoute Santé du Canada ont été créées et financées par le gouvernement du Canada pour promouvoir des solutions d’interopérabilité dans le secteur de la santé.

Toutefois, il faut en faire plus. Un organisme central de normalisation fort, une collaboration et une coordination étroites, ainsi que des mandats institutionnels plus solides peuvent contribuer à remédier à la fragmentation actuelle de nos données de santé dans les provinces, la nation et le monde.

Il s’agit d’un poste commun entre Open North et Esri Canada. Voir l’article sur le site web d’Esri Canada.

À propos d’Esri Canada

Fondée en 1984, Esri Canada fournit des solutions de systèmes d’information géographique (SIG) qui permettent aux entreprises, aux gouvernements et aux établissements d’enseignement de prendre des décisions éclairées et opportunes en tirant parti de la puissance de la cartographie et de l’analyse spatiale. Pour plus d’informations, consultez le site esri.ca.

À propos de Nord Ouvert

Nord Ouvert est un organisme à but non lucratif basé à Montréal. En activité depuis 2011, nous travaillons avec des partenaires publics, privés et de recherche ainsi qu’avec des intervenants communautaires afin de favoriser une utilisation efficace, responsable et collaborative des données et de la technologie pour résoudre des problèmes complexes.