Des échanges soutenus sur la ville intelligente et tous ses domaines connexes
NordOuvert et son partenaire CIVITEO, une société de conseils en données ouvertes basée à Nantes en France, ont organisé une semaine d’apprentissage pour une délégation de leaders sur les villes intelligentes. Pendant ces quelques jours de la fin du mois d’avril 2019, le groupe d’élus et élues de collectivités françaises, d’activistes, d’experts et expertes en droit et en données et de journalistes a exploré différentes pratiques de gestion publique des données et de la technologie. Ils et elles ont exploré trois villes canadiennes : Montréal, Ottawa et Toronto.
Nous avons convoqué des réunions avec une grande diversité d’acteurs. L’objectif de cette semaine était d’échanger les connaissances sur la ville intelligente et tous ses domaines connexes : les données ouvertes, la sécurité des données et des renseignements personnels, les droits des citoyens et citoyennes, la réglementation, l’éthique des données, la participation citoyenne, l’intelligence artificielle et autres. Rien n’a été exclu lors de nos débats et échanges ! Nous avons ainsi pu constater les différences qui existent entre la France et le Canada relativement aux normes et aux pratiques, et, par le fait même, interroger nos propres méthodes. Cette semaine nous aura donc donné l’occasion d’écouter les expériences de nos contreparties françaises et, par le fait même, d’en apprendre plus sur nous-mêmes.
Des différences entre les contextes canadiens et français
Avant même l’arrivée de nos invités à Montréal, nous avions constaté que l’écosystème des villes intelligentes, tant au Canada qu’en France, est en pleine évolution. Il est cependant marqué par des approches différentes entre les deux pays relativement à l’innovation et aux lois, dans les sphères publiques et numériques.
Au Canada, plusieurs municipalités et villes sont en train de mettre en vigueur des projets de villes intelligentes, poussées par le défi qui a été lancé par Infrastructure Canada. Au cours de la dernière année, les grandes villes canadiennes ont proposé des plans et des stratégies de données ouvertes et de villes intelligentes. Et les petites municipalités, les milieux ruraux et les communautés autochtones, de leur côté, mettent à profit les technologies et les données pour lancer de nombreuses initiatives qui visent à améliorer la vie de leurs citoyens et citoyennes. Mais alors que ces projets sont souvent co-créés dans les démarches de consultation publique, ils soulèvent par le fait même de nombreuses questions importantes, notamment sur la gestion et l’usage responsable et éthique des données. De plus, l’arrivée de plus en plus importante de nouveaux acteurs privés sur nos territoires publics entraîne de nouveaux enjeux juridiques, et les réponses de nos gouvernements arrivent trop souvent en deuxième lieu.
Au Canada, il est pratique courante d’ouvrir la porte à l’innovation et d’ensuite passer à la réglementation. Cette démarche semble se produire en sens inverse en France. En mai 2018, l’Union européenne a adopté le Règlement général sur la protection des données (RGPD), une loi qui établit les règles de base concernant le traitement des renseignements personnels. Elle joue aussi un rôle essentiel dans la collecte et l’usage des données dans les collectivités françaises. La France a également adopté la Loi de la République numérique qui impose à toutes les collectivités locales de plus de 3 500 habitants d’ouvrir les données par défaut. Mais alors que les collectivités avancent dans leurs démarches d’ouverture de données, beaucoup de travail reste encore à faire. En octobre 2018, l’Observatoire OpenData des Territoires a dénombré que sur un total de 4 510 collectivités concernées par la Loi, seulement 343 avaient commencé à ouvrir leurs données.
C’est dans ce contexte que nous exposons ici les apprentissages qui nous ont marqués lors de notre semaine d’accompagnement et de partage avec les membres de la délégation française.
Montréal
À Montréal, les délégués et déléguées se sont familiarisés avec l’écosystème de données et d’innovation de la ville, surtout dans les contextes artistique et culturel. Notre équipe s’est arrêtée en premier aux bureaux de Synapse C, un organisme à but non lucratif intégré au Partenariat du quartier des spectacles. Synapse C vise à développer et à mettre en commun l’expertise en valorisation de données pour les arts et la culture au Québec et au Canada. Cette démarche repose sur la collaboration entre différentes parties prenantes pour parvenir à une démarche et culture de mutualisation des données. Lors de cette première réunion, nos délégués et déléguées ont constaté qu’il existe de nombreuses possibilités, mais aussi des obstacles, au partage de données personnelles pour que l’ensemble des acteurs du territoire puissent en tirer des avantages.
Avec en tête ces premiers constats, nous nous sommes ensuite penchés sur les questions de données et de confiance du public lors d’une réunion avec Nabeel Ahmed, analyste pour les services de consultation personnalisée de Nord Ouvert, et Tracey Lauriault, professeure agrégée à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton. Pendant ces échanges, nous avons constaté qu’au Canada il y a un intérêt accru de la part des villes et municipalités pour les projets villes intelligentes. Pourtant, notre cadre juridique sur la collecte et l’usage de données personnelles est fragmenté puisque les lois sur la protection des données et leur application changent selon les administrations (municipale, provinciale ou fédérale).
Dans le but de soutenir ces réflexions sur les normes et les lois qui encadrent les projets de villes intelligentes, nous avons convoqué Christophe Abrassart, professeur agrégé à la Faculté de l’aménagement, l’Université de Montréal et chercheur à l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique. Professeur Abrassart a participé à la création de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’IA, un cadre éthique issu d’un processus délibératif entre citoyens, citoyennes, experts, expertes et autres parties prenantes.
Ensuite, à l’occasion de notre dernière visite à Montréal, nous nous comme rendus au Laboratoire d’innovation urbaine de Montréal. Les membres de la délégation ont alors consolidé toutes ces nouvelles connaissances. Ils et elles ont découvert les principes fondamentaux et les méthodes d’expérimentation qui permettent à la Ville d’amorcer des transitions culturelles et numériques au service de la population montréalaise.
Ottawa
À Ottawa, la délégation a été invitée à la Résidence de France pour échanger avec Kareen Rispal, ambassadrice de France au Canada, sur la concrétisation du partage de pratiques et de connaissances entre la France et le Canada. Certains membres de la délégation ont pu présenter et discuter de leurs apprentissages à ce jour. Ils et elles ont partagé les méthodes utilisées par les administrations publiques pour répondre à cette révolution numérique qui introduit de nouvelles technologies dans les sphères publiques et privées.
Nous avons ensuite discuté avec Mélanie Robert, directrice générale, Services et Gouvernement ouvert, Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) du Canada. Elle a entre autres présenté aux collègues français les démarches de gouvernement ouvert au sein de l’administration publique fédérale au Canada. Ces dernières s’inscrivent dans le mouvement mondial pour rendre les dépenses et activités du gouvernement plus transparentes par la mise en œuvre de principes comme l’ouverture par défaut. De nombreux enjeux sont ressortis de ces discussions, notamment sur la qualité des données et l’accompagnement des citoyens et citoyennes dans un contexte de manque de ressource des gouvernements locaux. Nous nous sommes également penchés sur la question de l’intelligence artificielle et sur les méthodes potentielles qui pourraient être utilisées pour mesurer les effets des algorithmes.
Nous avons ensuite discuté avec Teresa Scassa, professeure titulaire à l’Université d’Ottawa et membre de la Chaire de recherche du Canada en politiques et droit de l’information, et David Fewer, directeur de la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada (CIPPIC). Lors de cette réunion, nous avons identifié les enjeux liés à la mise en place des « fiducies de données », ces modèles de gestion de données qui impliquent la responsabilisation d’une tierce partie sur le consentement de l’usage des données personnelles. Ces fiducies visent à offrir aux citoyens et citoyennes un meilleur contrôle sur leurs données personnelles. Nous avons étudié de nombreux exemples pour mieux comprendre comment ces modèles de gouvernance diffèrent de l’approche réglementaire traditionnelle. Les questions suivantes ont alors été soulevées : Quelles sont les obligations des tierces parties par rapport aux détenteurs de données ? Qui détiendrait les droits de réutilisation de données personnelles ?
Il est apparu que ces questions devraient continuer d’être des priorités pour que nous puissions mieux nous adapter aux différentes transitions numériques en cours au Canada et en France.
Heureusement, notre séjour à Toronto nous a donné l’occasion d’évaluer encore plus en profondeur ce modèle de gestion avec un cas d’étude concret : l’expérience de Sidewalk Labs et de son plan de revitalisation du centre-ville de Toronto.
Toronto
Toronto est la plus grande ville au Canada et elle est reconnue pour être une chef de file en matière de publication et d’ouverture des données. C’était donc un arrêt incontournable pour notre délégation !
À notre arrivée à Toronto, nous avons été accueillis par l’équipe des Services numériques de l’Ontario. Ses membres nous ont présenté leur plan Priorité au numérique, y compris leur processus de participation citoyenne, sur lequel il repose. Les représentants et représentantes des Services numériques de l’Ontario ont qualifié leur démarche de consultation publique comme participative. Ils et elles sont allés à la rencontre des citoyens et citoyennes et ont offert au public différents moyens de fournir leurs commentaires. Nous avons constaté à quel point il est difficile de favoriser la participation des populations souvent moins représentées dans ces démarches délibératives. Il existe en effet toujours une fracture numérique et des manques dans la connexion aux réseaux des populations rurales, des enjeux présents autant au Canada qu’en France.
Nous nous sommes ensuite arrêtés à Code for Canada, un organisme à but non lucratif, membre d’un réseau international visant à promouvoir l’utilisation de technologies pour le bien commun. Code for Canada nous a parlé de son programme de fellowship qui intègre au sein du gouvernement des professionnels et professionnelles provenant des secteurs privés et non lucratifs. L’objectif est de mettre à profit ces talents créatifs et numériques pour créer des produits au service du public. Les membres de la délégation ont été impressionnés par le succès des projets réalisés dans le cadre de ces partenariats, à toutes échelles gouvernementales au Canada.
C’est alors que nous avons atteint l’étape la plus attendue de notre séjour : une visite à Sidewalk Labs. Ils nous ont expliqué toute la proposition du plan d’aménagement du Quayside alors que nous explorions leurs espaces de laboratoire et de création. Ils nous ont aussi parlé de leurs plans relatifs à la mobilité, au logement, à la création d’emploi et aux espaces publics. De nombreuses questions ont été soulevées lors des discussions sur la collecte et l’usage des données provenant des capteurs urbains, relativement entre autres à la possession des données, aux renseignements personnels, au consentement et à l’éthique des données.
À la suite à notre visite à Sidewalk Labs, nous avons eu un moment d’échange avec deux activistes basées à Toronto, Bianca Wylie, co-fondatrice de Tech Reset Canada et Nasma Ahmed, directrice du Digital Justice Lab. Ensemble nous avons constaté à quel point ce projet impose un nouvel ordre de gouvernance des espaces publics, de surveillance, de gestion des biens publics et de prestation des services publics. Nous avons réfléchi aux répercussions de ce nouvel ordre sur la vie démocratique de nos villes, non seulement à Toronto, mais potentiellement dans d’autres villes au Canada et ailleurs.
Conclusion
Ce séjour a nourri des discussions fructueuses entre des collègues canadiens et français sur la gouvernance des villes dans une ère de transformation numérique. Tout au long de la semaine, nous avons découvert comment les contextes des collectivités canadiens et français se distinguent, sur le plan institutionnel, politique, juridique et culturel. De notre part, nous avons apprécié le dialogue ouvert et délibératif soutenu par les membres de la délégation. Nous nous sommes notamment inspirés de leur engagement à l’égard des modèles de gouvernance qui proposent des visions alternatives de nos sociétés actuelles et futures. De leur part, les délégués étaient surtout intéressés par notre capacité à engager une multiplicité d’acteurs sur des enjeux de gouvernance complexes et, en même temps, à encourager l’expérimentation et l’innovation sur le terrain.
Il va sans dire que les échanges interculturels qui ont eu lieu pendant la semaine ont été très bénéfiques pour les deux parties. Dans cet esprit, l’équipe NordOuvert propose à ses lecteurs d’approfondir leurs réflexions et de poursuivre ces échanges. Nous vous invitons à lire l’article de blogue sur le sujet publié par CIVITEO et à suivre attentivement le déroulement des projets de villes intelligentes, et de leurs défis, des deux côtés de l’Atlantique.