En faveur de meilleures pratiques de collecte et de gestion de données de consultation publique
Que ce soit pour l’élaboration de politique, pour valider un nouvel investissement public, ou pour générer un débat sur une question d’ordre civique, les gouvernements à tous les niveaux prennent des mesures pour incorporer les voix et les opinions des citoyens dans la prise de décision gouvernementale. Ces engagements peuvent être généralement regroupés sous l’égide des processus dénommés consultation publique.
La consultation publique est essentiellement un exercice de collecte de données. Les contributions des citoyens et des parties prenantes sont relayées par différents médias, par exemple en remplissant des sondages (en ligne ou en personne), en assistant à des assemblées publiques ou en ajoutant des commentaires à des documents publics en ligne. Ces réponses consistent en des informations qui doivent être gérées, analysées et intégrées au processus décisionnel du gouvernement. Examiner la consultation publique dans cette optique met en exergue les défis auxquels sont confrontés les citoyens et les gouvernements afin qu’ils puissent façonner un engagement civique qui est à la fois transparent et significatif.
Alors que des gouvernements accordent une attention considérable aux activités initiales de la consultation (organisation de réunions, création d’enquêtes, invitation du public, etc.), le traitement des commentaires obtenus du public devient une considération secondaire. Ainsi, les citoyen·ne·s se demandent : Qu’est-il arrivé aux commentaires et informations que j’ai apportés?
Effectivement, il n’est pas toujours simple d’identifier comment les contributions d’un citoyen ou d’une partie prenante ont été enregistrées et intégrées au processus de prise de décision. Des pratiques de gestion des données qui sont claires et cohérentes sont alors nécessaires pour assurer qu’on puisse toujours connaître la réponse à cette question.
Que se passe-t-il après une consultation publique?
Pour illustrer le processus, supposons que vous assistez à une réunion publique durant laquelle votre gouvernement provincial vous demande de commenter sa stratégie de changement climatique. Vous pouvez vous demander ce qu’il advient des transcriptions de ces réunions. Comment deviennent-elles des informations tangibles qui sont ensuite utilisées pour prendre des décisions politiques ?
Le contexte fédéral
L’un des moyens par lequel les citoyens peuvent s’informer sur les résultats d’une consultation publique est de consulter des rapports officiels (ces types de rapports sont parfois appelés « Ce que nous avons entendu »). Ces rapports sont créés par des instances gouvernementales pour présenter les résultats d’une consultation publique. De tels rapports peuvent prendre la forme de sites interactifs, de sites statiques avec un contenu visuel ou de documents PDF statiques. Certains peuvent même inclure des analyses qui ont été produites par des tiers partis. Ces rapports relèvent le défi de diffuser leur message avec simplicité et précision. C’est à dire, il faut à la fois fournir suffisamment de détails pour encourager la confiance dans le processus de consultation lui-même, tout en respectant les plans de communication et des agendas de relations publiques.
En effectuant une évaluation rapide de certains de ces rapports publiés dans le contexte canadien, il devient évident que ces documents résument les narratifs des conversations et du processus de consultation (qui pourrait être considéré comme une étape de collecte de données), sans aucune description de la collecte de données, la facilitation ou les méthodes analytiques appliquées. Des exemples peuvent être trouvés au niveau fédéral mais aussi à l’échelle de villes et municipalités plus petites. La rédaction des rapports « Ce que nous avons entendu » implique nécessairement (ou espérons-le) une analyse visant à identifier les principaux thèmes de la conversation, où les responsables de la consultation prennent des décisions concernant les thèmes les plus importants à présenter dans le rapport final. Étant donné que ce processus implique une interprétation des données, exiger que les méthodes d’analyse choisies apparaissent clairement dans ces documents est une étape importante pour créer la confiance dans le processus de consultation en lui-même.
Instaurer la confiance dans le processus de consultation nécessite également des mesures pour permettre aux citoyens de suivre et comprendre les étapes de suivi et l’adoption des recommandations. Les documents contenant des décisions relatives à une consultation peuvent être dispersés, ce qui rend difficile pour le citoyen d’identifier quelles recommandations d’une consultation ont été effectivement adoptées. Cette question est pertinente à plusieurs échelles de gouvernement canadien. Notamment, un rapport récemment publié par l’Office de consultation publique de Montréal qui présente un compte rendu de ses 15 années d’expérience en matière de consultation publique souligne la nécessité d’améliorer les processus de suivi de l’administration municipale, étant donné qu’il n’existe aucune obligation pour la ville de mettre en oeuvre des mesures de suivi après la tenue de la consultation.
Un aperçu de défis liés à la collecte et à la gestion de données des consultations publiques
Les constats précédents soulignent la nécessité des gouvernements de mieux documenter et de faire connaître les étapes d’analyse, la méthodologie et les processus décisionnels qui sont privilégiés pour transformer les données de la consultation publique en décisions et actions portées par les gouvernements. Pourtant avant même que cela puisse se produire, les gouvernements doivent collecter et traiter les données générées par la consultation publique. En décortiquant quelques étapes de collecte et traitement de données ci-dessous, nous observons un besoin d’établir des pratiques de gestion de données plus cohérentes et reproductibles au sein du gouvernement, ainsi que le besoin d’améliorer la littératie de données pour les fonctionnaires.
Collecte de données : le biais de l’échantillon
Idéalement, une consultation publique est conçue pour solliciter les commentaires d’un large éventail de citoyens, représentant les expériences et les besoins de la population dans son ensemble. En pratique, cela est difficile en raison du biais de l’échantillon (veuillez voir Rowe & Frewer, 2005). En principe, les citoyens participent aux consultations sur une base volontaire. Il est donc probable que les personnes ayant un intérêt direct dans le sujet de la consultation soient les plus présentes et les plus virulentes, tandis que d’autres se retirent simplement ou sont exclues – ainsi un biais de l’échantillon se présente. En effet, toute participation démocratique nécessite un certain niveau d’effort de la part des citoyens – prenons par exemple, le taux de participation aux élections. Parfois la participation d’un citoyen à une consultation publique ne vaut pas la peine, ce qui incite les gens à se retirer du débat public. Ces facteurs peuvent nuire à la représentativité d’une consultation publique et donc son résultat.
Les données collectées lors de la consultation publique constituent un effort de recenser les opinions des citoyens et des parties prenantes. La collecte, la gestion et l’analyse de ces données peuvent être difficiles, car il s’agit souvent de données qualitatives. Prenons des commentaires écrits ou des enregistrements vocaux. Bien que ces données soient utiles pour comprendre les préférences, les pensées ou les valeurs des citoyens, elles sont difficiles à interpréter. Traiter des données qualitatives peut devenir encore plus complexe pour des événements de consultation en personne, où plusieurs participants dans la salle parlent en même temps. L’enregistrement et la structuration de ces données nécessitent du temps et une expertise considérables.
Le traitement et l’analyse de données
Désormais, une fois que les données sont collectées et structurées, les analystes doivent nettoyer les jeux de données « brutes » afin de supprimer les erreurs, les informations inutiles ou les entrées incomplètes. Pour donner un exemple concret, examinons le cas des jeux de données de la consultation du gouvernement du Canada sur les grands éléments des lois et des politiques en matière de sécurité nationale. En explorant ces ensembles de données, on retrouve plusieurs entrées en double. Les données contiennent également des réponses à de nombreuses questions, qui ne font pas partie des questions posées de la consultation.
Parfois les données de consultation publique sont difficile à traiter
Titre du jeu de donnée: Consultation sur la sécurité nationale : réponses reçues par l’intermédiaire du portail de consultation en ligne (08/09/2016 – 04/11/2016) Source: Consultation du gouvernement du Canada sur les grands éléments des lois et des politiques en matière de sécurité nationale
Ici l’analyste dispose de quelques options pour aborder l’analyse. Par exemple, comment l’analyste choisira-t-il d’identifier les entrées en double ? Comment traitera-t-il les entrées qui ne contiennent pas de réponse à la question posée ? Celles-ci seront-elles également supprimés ? Faudrait-il les pondérer tout de même ?
Même au tout début de l’analyse, les approches pour traiter ce jeu de données peuvent varier, ce qui a donc une incidence sur la manière dont les énoncés de la consultation seront représentés. De plus, si les étapes de l’analyse ne sont pas bien documentées, la prise de décision devient difficile à discerner pour l’auditoire interne et pour le public. Ce risque s’applique à tout traitement des données de consultation publique, qu’il s’agisse d’une petite municipalité, une province ou une institution fédérale.
La nécessité d’établir de pratiques de gestion des données cohérentes et reproductibles
La gestion des données de consultation publique à toutes les étapes de la consultation est complexe. Elle requiert la collecte de grands volumes d’informations et de données non-structurées provenant de différentes sources, ainsi que le traitement de données qualitatives et l’identification des biais de l’échantillon. Les gouvernements doivent maîtriser ces tâches d’analyse tout en assumant ses responsabilités présumées : de servir et d’engager leur public, de gérer leurs programmes politiques et veiller à ce que leurs processus de prise de décision soient transparents et équitables.
Ces défis soulèvent la nécessité de travailler à l’élaboration et à la mise en œuvre de méthodes de collecte et de gestion de données claires, cohérentes et reproductibles aux fins de consultation publique. Cela suppose également que les fonctionnaires disposent des compétences, des capacités et des connaissances nécessaires pour mener non seulement les activités initiales de la consultation, mais également pour gérer efficacement les données générées tout au long du cycle de vie de la consultation.
Les travaux de NordOuvert en données et en consultation publique
L’expérience de NordOuvert en matière de consultation publique découle de plusieurs projets menés au Canada et à l’international, visant à appuyer les gouvernements pour mettre en œuvre la transparence et la responsabilisation par le biais de consultation citoyenne. Le Laboratoire de recherche appliquée de NordOuvert a collaboré avec le Bureau du Conseil privé (BCP) du gouvernement du Canada pour mettre au point un flux de travail permettant de traiter et d’analyser des données qualitatives issues de consultations. Cela impliquait l’utilisation de bibliothèques de source ouverte pour effectuer l’analyse de contenu et le traitement de données tabulaires. Ces activités ont soulevé de nouveaux enjeux, surtout concernant la nécessité de normaliser les données qualitatives de consultation publique, un besoin que nous avons traité en proposant un nouveau modèle de données. NordOuvert s’appuie sur ce succès pour élargir son travail avec le BCP afin de créer des outils d’apprentissage numériques. Ces outils visent à améliorer les compétences en littératie de données des fonctionnaires qui effectuent des travaux dans le sphère consultation publique.
Nous travaillons également à renforcer les capacités en consultation publique en Ukraine en partenariat avec le National Democratic Institute. Pour ce faire, nous fournissons un soutien en matière de planification, de facilitation et d’analyse de données des consultations. Nous travaillons à renforcer les capacités en fournissant des outils et des modèles pour la mise en œuvre des programmes pilotes de consultation publique. Grâce à ces projets, et sur la base de nos travaux antérieurs en matière de budgétisation participative, nous espérons continuer à aider les gouvernements à faire en sorte que leurs activités d’engagement du public soient transparentes et concrétisent l’utilisation significative des données fournies par leurs citoyens.
Oeuvrage cité:
Rowe, G., & Frewer, L. J. (2005). A typology of public engagement mechanisms. Science, Technology, & Human Values, 30(2), 251-290