En cette journée de la démocratie, nous souhaitons apporter notre pierre à l’édifice. Bien des personnes dans les pays démocratiques voient cette journée organisée par les Nations Unies comme s’adressant uniquement aux “autres”. Pourtant nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que bien des pays souffrent d’une forme de fatigue démocratique se traduisant notamment par une baisse des taux de participation électorale et une propension au vote protestataire amenant à l’élection d’extrémistes de tout acabit.
Bien des idées sont proposées: réforme du mode de scrutin, référendum d’initiative populaire et d’autres approches directes. Bien que des progrès sont clairement possibles sur ces aspects, il devient de plus en plus nécessaire d’imaginer la démocratie à l’heure d’Internet.
Et non, il ne s’agit pas de vote électronique. Il s’agit de renforcer les démarches démocratiques au moyen d’outils technologiques là où ils apportent une plus-value. Notre expérience autour des consultations budgétaires nous montre une des options possibles: obliger les citoyens à faire des arbitrages et des choix, permettre aux élus d’obtenir un avis avec un granularité supérieure à un vote, éduquer de manière intuitive la population aux défis budgétaires, etc. – des objectifs importants et difficiles à atteindre lors de campagnes électorales ou de conseils municipaux.
Ces expériences sont encore assez jeunes; l’arrimage entre initiatives en ligne et démarches classiques ainsi que la pérennité des actions en ligne nécessitent encore beaucoup de progrès. Mais sur base de nos expériences et recherches, voici quelques concepts qui ressortent.
##Processus divergent: collecte d’idées
Certains outils en ligne permettent aux utilisateurs de proposer des idées et de voter pour les idées des autres. C’est grâce à cette approche qu’a été en partie réalisé le rapport Gouverner Ensemble en 2011-2012. Ceci a permis à l’équipe en charge de l’étude de collecter un nombre important d’idées et de juger du support relatif de chacune. Cette approche est surtout efficace sur des sujets assez restreints où l’on cherche à faire participer un public maitrisant suffisamment la question. C’est cette méthode qui a permis de produire un document qui demeure une référence sur le sujet.
La consultation récemment lancée par le gouvernement du Québec autour de la révision des programmes s’inspire de cette approche. Toutefois la mise en oeuvre se bute à certaines limitations:
-
Le sujet est trop vaste et la consultation peu guidée, le tout allant probablement déboucher sur pléthore de propositions pas nécessairement structurées.
-
Manque de mise en contexte. Lorsqu’un tel mécanisme s’adresse à la population en générale, il est nécessaire de fournir de manière simple (graphique par exemple) les enjeux et les échelles de valeurs. Proposer des thématiques permet également de structurer un peu les interventions. Dans un cas contraire, l’éventail de proposition et leurs impacts deviennent difficile à gérer.
-
L’absence de support mutuel: proposer de voter sur les propositions précédentes permet de limiter le volume total de proposition tout en faisant ressortir les éléments les plus populaires (sans pour autant dire que c’est représentatif!)
Pour les processus divergents où l’objectif est d’obtenir des idées, les outils numériques sont généralement assez efficaces. Cependant les processus divergents tendent à générer un volume élevé d’information et difficile à traiter comme le signale d’ailleurs le Citizen Engagement Handbook du gouvernement de Colombie Britannique. Pour cette raison la consultation doit être designé pour structurer dès le début l’information recueillie.
##Processus convergent: l’additionnalité
La gestion de processus convergent, là où on cherche à obtenir une forme de consensus ou au moins de tendance, est plus complexe. Plusieurs plateformes en ligne ont été développées pour tenter d’amener ce point. Toutefois, pour l’heure, aucun signe ne permet de voir la plus-value des outils en ligne pour faire converger des opinions opposées. C’est déjà très difficile à réaliser en face à face avec des médiateurs, aucun remplacement sérieux n’existe en ligne.
En revanche, les consultations budgétaires en ligne permettent de faire ressortir les avantages l’additionnalité: lorsque les opinions peuvent être ramenées à des quantités et qu’il est possible de les additionner, alors des éléments de convergence peuvent apparaitre: sur certains éléments, une majorité des répondants peuvent pencher dans un sens ou dans un autres.
À défaut d’une médiation permettant un travail sur les esprits vers une convergence, il est possible de faire ressortir les points sur lesquels les esprits convergent naturellement.
##Suivi et responsabilité
Quoiqu’il en soit, là où le bas blesse, c’est dans le suivi et la manière dont les élus se (dé)responsabilisent par rapport aux réponses obtenues:
-
Trop souvent, les résultats ne sont pas publiés ou alors en catimini.
-
Généralement les élus n’expliquent pas si (et comment) la consultation a fait évoluer leur démarche.
-
Enfin, dans la majorité des cas, des travaux thématiques d’approfondissement devraient avoir lieu… et n’arrivent jamais.
Étant donné les contraintes présentées précédemment, il semble difficile qu’une consultation en ligne permette à elle-seule d’arriver à un processus de prise de décision satisfaisant. Dans le cadre d’une approche divergente, il est inévitable de suivre avec des travaux visant la convergence. Si le sujet se prête à une approche convergente, comme les consultations budgétaires, il n’en restera pas moins que certains sujets demeureront antagonisés.
La consultation a au moins permis de séparer les sujets relativement consensuels des questions plus difficiles. Le suivi, plus souvent réalisé selon des approches plus classiques, doit permettre de traiter ces dernières.
Tout ceci est évidemment un travail en cours. Possiblement que d’autres approches en ligne existent ou vont se développer. L’important est de définir les situations dans lesquels la démocratie en ligne apporte une plus-value: inclure des personnes à l’engagement limitée, aller chercher plus de personnes, utiliser les facteurs d’interactivité. Ensuite, il devient possible d’inclure ces approches dans les démarches de démocratie participative, actuellement trop faibles et qui par conséquent tendent à faire reposer notre avenir collectif sur un modèle représentatif dont une part croissante de la population tend à se désengager.